Il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose. Pascal
Définitions extraites du dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain REY, éditions Robert, 2000
RÊVER v., d'abord resver (v. 1130), puis rever (v. 1174) avant l'accent circonflexe. qui apparaît au XVIIe s., est d'origine incertaine. La première syllabe est identifiée comme le préfixe re-*, mais le second élément fait problème : Wartburg y voit un verbe simple °esver « vagabonder », non attesté mais postulé par l'ancien français desver « perdre le sens », représenté en français moderne par le préfixé endêver*. Ce verbe viendrait d'un gallo-roman °esvo « vagabond », réduction phonétique normale d'un latin populaire °exvagus de même sens (par °exvagu, °exvo et °esvo), comme sarcophagus a évolué en °sarcophagu, °sarcou, donnant l'ancien français sarqueue (cf. cercueil). Exvagus est formé de ex- à valeur intensive (→ é-) et de vagus « qui erre çà et là, c'est-à-dire vagabond » (→ vague). On pourrait même restituer un verne gallo-roman °exvagare, autre forme pour °exvagari, composé de vagari, présent dans les composés attestés pervagari, circumvagari, divagari (→ divaguer), extravageri (→ extravaguer). De son côté, P. Guiraud, qui considère la réduction de °exvagus en °esvo comme peu normale, et qui tient compte du doublet raver (formes provençales raba, rava à côté de reba, reva), est amené à postuler deux étymons : d'une part, raver, dont le sens est principalement « délirer », « être en fureur », représenterait un type °rabare, dérivé roman du latin rabere, doublet de rabiere, rabiare « être en rage », de rabia (-+ rage). Dans ce raisonnement, resver procéderait, non pas tant d'un °exvagere (car le g intervocalique aurait dû laisser les traces d'un yod dans le français : °resvier) mais du latin evadere « sortir, s’échapper » (→ évader) par l'intermédiaire d'une forme °re-exvader, rêver étant interprété par « s'échapper de la réalité en imagination ». Les deux mots, raver et rêver se seraient croisés en confondant les idées de « délire de la rage » et de « fuite dans l’imagination ». Les deux hypothèses, vraisemblables et ingénieuses, reposent sur des reconstitutions invérifiables.
• Le verbe a d'abord eu le sens de « délirer », encore usuel chez les auteurs du XVIIe s.. et celui de « dire des choses extravagantes, déraisonnables » (v. 1170). Ces sens, si l'on se range à l'étymologie classique (Wartburg), seraient des emplois figurés de l'ancien sens de « vagabonder », seulement attesté dans le Roman de la Rose (v. 1278) mais dominant en ancien et moyen français, où réver signifie le plus souvent « aller de-ci de-là pour son plaisir, rôder, s’amuser », spécialement « se promener déguisé pendant le carnaval ». • Au. XVIe s., le verbe s'est orienté vers l'idée abstraite de « laisser aller sa pensée au hasard sur des choses vagues » (1552, Ronsard), souvent avec une valeur péjorative. Rêver s'emploie aussi transitivement pour « inventer de toutes pièces » (fin XVIe s.) et suivi de la préposition à ou de pour « réfléchir à qqch » (fin XVIe s.), se rapprochant ainsi du sens de songer* au XVIIe s. ; rêver s'emploie alors pour « méditer profondément » (1620), « s'absorber dans » et même, transitivement, « méditer » (1643, Corneille). Resver si… « s’interroger, méditer » est attesté en 1579 (Larivey). • Le sens moderne, devenu courant, de « voir en songe pendant le sommeil » s'est dégagé au XVIIe s. en emploi transitif (I640, avec un complément indiquant l'objet vu en rêve) et absolument pour « faire des rêves en. dormant » (1649, Descartes), resver de et l'infinitif (1540, Héroët). Resver supplante songer au XVIIe s. et au XIXe s. et s'implante dans la phraséologie courante : il me semble que je rêve (av. 1656. Pascal), on croit rêver (fin XVIIIe s.) « c'est invraisemblable ». Comme transitif rêver signifie aussi « se représenter comme réalité (ce que l'on désire ardemment) » (1606) et comme intransitif, « laisser aller son esprit sur ce qui n'a aucun rapport avec la réalité présente » (1672). Par extension, le verbe équivaut à « se laisser aller à des idées chimériques, comme dans , un rêve », dans les locutions rêver éveillé (av. 1780) puis rêver tout éveillé (1835) d'où, familièrement, il ne faut pas rêver (XXe s.), tu rêves ! et, au Québec, rêver en couleurs « se faire des illusions », • Réver exprime, transitivement, l'idée de « voir comme dans un rêve » (av. 1780, Condillac). La construction réver de qqch., de qqn « le voir la nuit en rêve », attestée relativement tard (av. 1794, Chénier) est, selon une figure analysée par la psychanalyse, employée couramment pour « souhaiter ardemment une chose, un être, de faire qqch » (1874, Verlaine), et l'on dit familièrement en rêver la nuit (XXe s.) avec le même sens.
• Le dérivé RÊVERIE n. f, d'abord resverie (v. 1210), reverie (v. 1350) puis rêverie (1680) signifie en ancien français « ébats tumultueux, réjouissance », et aussi (v. 1210), jusqu'en langue classique, « délire, perturbation d'esprit due à la fièvre » puis « entêtement intéressé » et « fureur » (v. 1230). <> Par métonymie, il en est venu au XVIe s. à désigner une chose trompeuse, une chimère (1535) souvent avec une valeur péjorative : faire une rêverie signifiait « concevoir une idée étrange » (1671, Mme de Sévigné). • Son sens moderne, « activité psychique non soumise à l’attention », apparaît chez Montaigne (v. 1580), d'où l'emploi par Descartes de recueil de rêveries (1631), mais ne prend sa résonance actuelle que dans la seconde moitié du XVIIIe s., avec Rousseau et le préromantisme, s'employant par métonymie pour l'image ou la pensée produite par cette activité (av. 1613) et son expression littéraire (v. 1776, Réveries du promeneur solitaire, Rousseau). • Les valeurs nouvelles ont fait disparaître les sens classiques de « méditation où l'on s'absorbe, réflexion profonde » (1580), puis « pensée qui absorbe » (1656, surtout dans un contexte amoureux).
RÊVEUR, EUSE n., d'abord écrit reveeur (v. 1260), resveeur (v. 1330) puis reveur (1401), au XVIIe s. avec accent circonflexe, semble confirmer, par ses anciens sens, l'hypothèse étymologique de Wartburg : il désignait en ancien et moyen français un rôdeur, un coureur de jupons, et en particulier (1481) celui qui se déguisait pour le carnaval. Au XVIe s., le mot s'applique à un radoteur, une personne qui délire (1538). • Son emploi pour désigner une personne qui se laisse aller à la rêverie, qui a l'air absent, songeur (av. 1679, Retz, peut-être déjà au XVIe s.), a d'abord été associé à la tristesse, à l'inquiétude, à la mélancolie avant de prendre sa valeur moderne avec Rousseau. Comme adjectif, rêveur s'applique alors à une chose indiquant cet état d'esprit, en ayant les caractères (av. 1778, Rousseau). Le mot abandonne alors définitivement sa valeur ancienne, par laquelle il qualifiait le radoteur, le sot (1534), la personne qui poursuit des idées extravagantes, des chimères (1656). Quant à l'emploi pour « personne qui est absorbée dans ses réflexions » (1690), il est réactivé dans l'expression moderne cela me laisse rêveur « perplexe » (1932, Céline). • Le sens de « personne qui fait un rêve nocturne » (1677) relève d'un usage didactique. • Le dérivé RÊVEUSEMENT adv. est apparu (1833) avec le sens moderne de rêveur.
Le dérivé péjoratif RÊVASSER v. intr., d'abord ravacer (fin XIVe) puis ravasser (v. 1490), revasser (1489) et resvasser (av. 1615), avant révasser (XVIIe s.), a signifié d'après rêver « divaguer » (fin XIVe s.), « méditer » (1489), « délirer » (1611), « être distrait » (1653) et « radoter, rabâcher »- (1690). • De nos jours, depuis le milieu du XVIIe s., il correspond à « avoir un sommeil traversé de rêves vagues » (1609) et à « laisser la pensée, l'imagination se perdre en des rêveries imprécises »- (1694), quelquefois (comme rêver) en construction indirecte avec à (1835) et un complément précisant l'objet de la rêverie .• Le verbe a pour dérivés RÊVASSERIE n. f., d'abord ravasserie (1533) avant révasserie (XVIIIe s.), employé par Montaigne au sens de « chimère » et employé pour « action de rêvasser » (déjà chez Rabelais, puis réattesté en 1824), ainsi que RÊVASSEUR, EUSE adj. (1537, puis 1736).
RÊVE n. m., dérivé implicite de réver, est apparu tardivement (1674, Malebranche) pour désigner, à côté de songe, la suite d'images qui se présente à l'esprit durant le sommeil. Furetière (1690) précise qu'il « ne se dit guères que des songes des malades qui ont le cerveau aliéné », il le dit « vieux » et le dictionnaire de Trévoux (1732), « bas et de peu d’usage ». C'est au XVIIIe s. que le mot, en relation avec le verbe et dans un rapport de complémentarité avec rêverie, remplace peu à peu songe*. Employé absolument. il désigne l'activité psychique pendant le sommeil, avec une confusion faite, jusqu'aux travaux sur la physiologie du rêve, entre l'activité psychique immédiate dans le sommeil et l'ensemble des représentations et souvenirs qu'a le dormeur. • Il empiète cependant sur les valeurs de rêverie en désignant aussi une construction de l'imagination en état de veille (1718), sens qui, d'abord péjoratif (Voltaire : le rêve d'un homme en délire), prend avec Rousseau et les préromantiques une valeur poétique. Depuis la Révolution (1794), il désigne spécialement un projet chimérique, sans fondement, d'où (1819) la construction imaginaire destinée à satisfaire un besoin, un désir, dite spécialement au XXe s. selon la terminologie psychanalytique, réve diurne, et entre dans les locutions usuelles de rêve, de mes rêves (1885), désignant, par métonymie, l'objet d'un désir, d'où, familièrement avec une valeur affaiblie, une chose très charmante, dans c'est le rêve, et négativement ce n'est pas le rêve (déb. XXe s.).